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Jean-Marie Piemme

/web/photos/2015-Piemme.pngPiemme, l’indispensable. «Je devrais tourner le dos à mon passé ? Pourquoi ? Pourquoi renierait-on ce qui nous a faits, c’est justement quand ça fout le camp qu’il faut y penser très fort. »Dans la courte pièce Les adieux, Jean-Marie Piemme définit son mode de vivre, de penser, d’écrire : activer le passé…sans nostalgie. Piemme, un nom à la saveur d’onomatopée, fait partie de toutes les aventures de sa génération, les fameux « soixante-huitards », influencés par Brecht et les marxistes français, Althusser et Derrida, père de la « déconstruction ». Une vie et une œuvre, entre passion et désillusion, analyse et création, observation gourmande, réflexion sèche et écriture souple ou tranchante, question de perspective. Né en 1944, dans une famille ouvrière liégeoise, rien ne le prédestinait à en sortir… si son père n’avait eu de l’ambition pour deux. Mais à partir de cette chance historique, un fils d’ouvrier à l’université, Piemme va faire, sans se presser, tous les bons choix que la vie va lui offrir. Déterminante sa rencontre, à l’Université de Liège, avec Michèle Fabien, fille d’universitaire, future écrivaine de théâtre et d’abord, comme lui, dès 1973, dramaturge de l’Ensemble Théâtral Mobile (ETM). Marc Liebens y mène la révolution des « jeunes compagnies » en guerre contre le théâtre National de Jacques Huisman. A partir de là Piemme fait la connaissance de Philippe Sireuil, futur co-directeur du théâtre Varia mais aussi de Gérard Mortier, flamboyant directeur de La Monnaie, qui l’engage comme dramaturge de 1984 à 1988. De cette expérience de dramaturge, cet œil extérieur qui aide à mettre en perspective contemporaine le répertoire classique et actuel, Piemme tirera une œuvre de référence, Le Souffleur inquiet (Alternatives théâtrales, 20-21). Déterminante surtout, la soudaine orientation qu’il donne à sa vie en décidant, à 42 ans, en 1986, de passer de l’érudition active à l’écriture dramatique avec un étonnant Neige en décembre, créé à Liège, par un acteur flamand François Beukelaers, longtemps compagnon de route du Varia. S’en suivra une impressionnante série d’éclatantes collaborations avec le metteur en scène Philippe Sireuil : Commerce gourmand (1991), Le Badge de Lénine (1992), Café des Patriotes (1998), Toréadors (1999), Dialogue d’un chien avec son maître (2007) : leur « commerce » intellectuel a produit des petits miracles de théâtre critique d’une société belge fascisante, mis à la portée d’un public assez large : entre 100 et 250 représentations, en Belgique pour les trois derniers. Mais l’œuvre la plus ambitieuse de J.M.Piemme, par le sujet et son traitement esthétique distancié est sans doute 1953, mis en scène par Marc Liebens (1998) : trois trames narratives y faufilent réalité et fiction distanciées : la mort du communisme (Staline), de la social démocratie (Henri Deman) et la fuite d’un ouvrier de sa classe sociale. Le tout vu par un enfant de 9 ans, un « double » fictionnel de l’auteur. Mais pour une salle d’acteurs et d’actrices, le plus « déterminant » c’est que J .M. Piemme ne pense pas ses textes sans en faire « cadeau » à ses acteurs ou actrices, souvent ancien(ne)s élèves (ou pas) du prof Piemme à l’Insas. Le badge de Lénine, cadeau à Virginie Thirion, Scandaleuses, cadeau à Jeanine Godinas, Une plume est une plume, cadeau à Catherine Salée. Sans oublier les hommes, gâtés par le Café des Patriotes, Toréadors ou Dialogue d’un chien… Avec J.M. Piemme on traverse la fin du XX è siècle et le début du XXIè sans illusions mais sans pessimisme excessif. Un témoin de son temps mais aussi un « passeur » : en témoignent les Voyages dans ma cuisine (Alternatives théâtrales, 2008) où Antoine Laubin, metteur en scène des Langues paternelles chemine à ses côtés dans un dialogue passionnant de père à fils, embrassant toute une carrière. Une filiation accomplie au printemps 2016, au Théâtre de Liège, avec Szenarios, m.e.s A.Laubin, texte J.M.Piemme. Fidèle à ce programme? "Je n'écris pas du théâtre pour dénoncer la marche boiteuse du monde : elle est de notoriété publique. J'écris du théâtre pour trouver en quoi nous sommes vivants dans tout cela..." Christian Jade

Intervention de Jean-Marie Piemme lors de la cérémonie

«Je voudrais remercier les membres du jury qui m’ont accordé le prix Abrate. Remercier ma famille, Virginie et Alice, remercier mes amis proches et tout particulièrement Philippe Sireuil qui a beaucoup oeuvré pour que je sois devant vous ce soir, remercier les équipes techniques et administratives, Sylvie Somen entre autres, et aussi bien sûr les comédiens et comédiennes, parmi lesquels Janine Godinas, Alexandre Trocki et Philippe Jeusette. Remercier enfin tous les metteurs en scène jeunes ou moins jeunes, belges ou étrangers, qui ont porté mes textes à la scène. Avec ceux que je viens de citer, et avec d’autres qui ont ou n’ont pas joué dans mes pièces, nous tomberions facilement d’accord sur l’idée que le théâtre est un art du mensonge qui dit la vérité. Je suis Hamlet, dit l’acteur, alors qu’il sait qu’il ne l’est pas, que nous le savons nous aussi et qu’il sait que nous savons et que nous savons qu’il sait. Et pourtant, la représentation charriera son lot de vérité sur la raison, la folie, l’ambition, l’amour, le mal ou l’histoire. Agissant ainsi par le biais du manifestement faux, le théâtre s’oppose directement et radicalement à toute vérité révélée. La parole révélée se légitime d’être la parole ultra vraie d’un dieu, d’être cette parole divine codifiée dans les livres saints. A cette prétention supra-humaine, le théâtre vient opposer son démenti. Il n’y a pas de vérité révélée, il n’y a que des vérités construites à vue, produites par les règles du jeu, engendrées par des êtres humains pour des êtres humains. A l’heure où beaucoup s’interrogent sur la nécessité du théâtre, il est stimulant de rappeler que par son dispositif même, avant tout contenu, par sa capacité structurelle de dire du vrai par du faux, par le travail de l’artifice, le théâtre est un art profondément laïque. Le théâtre laïcise le monde. Le "comme si" du théâtre, c'est la vérité qui doute, la vérité qui ne colle pas, qui ne veut pas vous étrangler pour vous convaincre, qui ne vous crève pas les tympans pour avoir raison. Le théâtre, c'est le monde qui se sait ironique, c’est la vérité moins l’inquisition, moins les bûchers, moins les rasoirs, moins les kalachnikovs, moins les impérialismes de quelque divinité qu’ils se réclament. Ainsi, en des temps marqués par la morsure du religieux, la simple existence du théâtre est son premier mérite. Si vous le permettez, je voudrais encore prendre un court moment pour rendre hommage à un auteur et un ami récemment disparu : Jean Louvet. Bernard Dort, tête pensante du théâtre français dans les années soixante, lors d’un cours, m’avait posé la question : Piemme, connaissez-vous Louvet ? Non, j’avais 2O ans, je ne connaissais pas Louvet. J’ai rencontré Louvet quelques années plus tard dans un débat chez Armand Delcampe, un débat houleux et musclé centré sur le rôle du théâtre national d’alors, car alors on discutait du rôle du théâtre national. Plus tard encore, Louvet et moi avons beaucoup parlé théâtre et politique. J’ai rapidement compris que j’avais devant moi quelqu’un qu’on ne bouscule pas facilement et qui ne prenait pas le théâtre à la légère. Pour Louvet, avec le théâtre, il s’agissait toujours de voler le feu aux dieux pour le donner aux hommes. Sa visée prométhéenne avait quelque chose de tonique. Comment vivons-nous, comment sommes-nous ce que nous sommes, nous les femmes, les hommes, dans une Belgique oublieuse, sans mémoire, qui connaît très mal son passé, son histoire, ses combats, ses défaites, ses victoires, ses arts et ses artistes ? Et plus largement que sommes-nous, dans un monde où le sens collectif se dénoue et où l’insignifiance gagne chaque jour du terrain ? Ces questions, Louvet les posait dans le contexte de la Wallonie. Ce n’était pas pour autant un écrivain régionaliste, la Wallonie était pour lui le terrain concret à partir duquel sa façon de regarder le monde prenait sa dimension universelle. Les luttes sociales, l’aliénation de l’individu par la marchandise et la recherche de la fraternité sont au centre de son œuvre. La veille de sa mort, il était encore en répétition avec son groupe du théâtre prolétarien et après sa mort, un de ses fils m’a dit avoir trouvé sur le bureau de son père une feuille sur laquelle figurait quelques répliques. La feuille portait le numéro 1.»